* Les yeux dans le vide, c'est Le Soulèvement des Monkeys-Donkeys. Personne ne les regarde, ils ne regardent personne, mais regardez, ils ont des yeux d'hommes, ils ont les yeux verts, regardez vous dis-je. Mais il n'y a rien à voir, rien n'est là, pas même la caméra, qui tourne sur des axes simulés, qui se gros-plante dans les rétines de synthèse... Les bubblegums poilus ne sont pas là, jamais. Pour le reste, c'est un film d'animal-copain-mignonnet très laidement filmé, qui vire tard (une heure avant qu'il se passe quoi que ce soit !) à la grande ineptie politique. Lorsqu'à la fin les singes attaquent la ville, puisque rien de toute façon n'existe, ni les singes ni la ville, on se prend à penser que ce contre-champ hilarant, proprement hilarant, quand le black chef de la méchante société, qui n'a aucune raison de diriger les opérations policières (mais il dit : "Faites-moi confiance sur ce coup-là" et hop, le scénario le valide), monté à bord d'un hélico en mouvement, pointe par la porte ouverte, complètement au pif, un doigt vengeur dans la cohue de l'assaut et désigne, comme on crie "Terre!", le "leader" du mouvement pour qu'on l'abatte -- lorsque donc ce type fait ce geste complètement impossible le temps d'un contre-champ débile et violemment risible ("Attention ! Cette aiguille s'est cachée dans une de ces bottes de foin !"), on se prend à penser qu'il s'agit peut-être d'une auto-parodie furtive, d'un commentaire en douce sur le vide complet des plans truqués.
* Évidemment, partout où c'est possible dans la presse, sur le net, on te vante les mérites des incroyables SFX photo-réalistes de mes deux. Ma bonne dame.
*Tout l'inverse dans le nouveau film des Lapsui-Lehmuskallio, magnifique synthèse de leur filmographie, de fait évidemment à la parfaite croisée des chemins du documentaire et de la fiction. Ici, chaque plan est saturé de vie, depuis l'essaim victorieux des mouches d'eau qui envahit la plupart des avant-plans en extérieur, jusqu'aux moindres motifs des tentures tirées dans les tipis. Les "tchoums", pour être plus précis (pas souvenir qu'aucun sous-titre jusqu'alors ait nommé ainsi les tipis, et pourtant L&L en ont passé du temps à les filmer, ces "tchoums"). Sur ces tentures d'ailleurs, on peut lire le principe du film : dans le tchoum, le tissu à flamands roses est un écran, une fenêtre, déroulée sur les murs, un appel vers le monde dans l'exiguïté cônique du tipi. Le même tissu dans la maison russe est un drap de lit : les rêves appartiennent au sommeil, on peut s'y enrouler en pyjama seulement, mais tout éveillé, tout habillé, on se heurte aux coins du monde, aux quatre coins des pièces, même les épaules deviennent carrées ; il y a dans les maisons davantage de pièces, davantage de recoins, davantage d'espace entre les murs, mais l'exiguïté y est bien plus extrême que dans le tipi. Les plans les plus importants du film sont les plans larges réguliers sur les tchoums, tous chargés de promesse, de fiction, gorgés de possibles, de grands espaces, de finesse d'ouvrage. Il faut y opposer les quelques plans larges à l'extérieur des maisons, jumeaux impossibles, durs, épuisés, et l'on voit alors que ce que le film raconte, à savoir l'impossibilité à habiter une maison après avoir habité un tchoum, la mise en scène le dit déjà, qui nous fait éprouver concrètement l'impossibilité à filmer une maison après avoir filmé un tchoum.
* La longue séquence du tambour est une extraordinaire leçon de montage, et l'époustouflant plan-séquence de la grand-mère, au cœur de celle-ci, fait de Neko, dernière de sa lignée, assurément le plus beau film de l'année.
* Je vais avoir accès à quelques films de Locarno post-festival. Le premier qu'on m'ait donné à voir, c'est le très pénible Nana de Valérie Massadian, qui a reçu le prix du meilleur premier film. Et si ce machin complaisant qui oppose la mignonnitude d'une gamine avec la saloperie sanglante de la vie est le mieux qu'on puisse tirer de Locarno 2011, on est mal. La première séquence avant-titre résume bien le machin : plan très large, clinique, sur une ferme. A droite, un cochon tire sur la laisse courte qui le retient à un piquet. Un paysan aux cheveux blancs essaie de le calmer, pour pouvoir l'abattre sans qu'il se brise une jambe. A gauche, assis sur des marches, trois bouts de choux commentent vaguement la scène. Le plan durera longtemps, très longtemps. Un coq hurlera, régulièrement, très régulièrement (trop pour être honnête). Les voix des mômelets nous parviendront avec une très grande clarté (gêne de voyeur, qui perdurera comme un principe esthétique dans le film, à écouter ces voix au micro-cravate, mixées très proches et très claires quand bien même les personnages sont en fond de plan -- là-dessus, tu avais raison Jiko), portant leurs mots d'enfants, rigolos comme peuvent l'être les mots d'enfants, même lorsqu'ils évoquent la mort. Le changement de plan ne se fera que lors de la première goutte de sang. Plan très serré, bien sûr. Vous l'avez sentie, mon angoisse monter ? Mon opposition des mondes ? La suite est du même moule : joliesse des enfantillages opposée au grand méchant monde capable, méfiez-vous, d'entrer par tous les côtés du plan très large (quelque chose de La Maladie Blanche, quand on y pense...), et travail sonore aux gros sabots (d'ailleurs quasiment tous les points de montage se font sur un top sonore, c'est pratique quand on ne sait plus trop comment lier les plans interminables : ça fait comme un clap et puis ça remet mécaniquement un poil de tension dans le nouveau plan trop long qui démarre).
lundi 15 août 2011
Des yeux vides, des mouches d'eau, du gros sang.
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