dimanche 19 février 2012

Ce que dit TJ

* "Rien n’est jamais acquis dans le documentaire. C’est d’ailleurs ce qui est fascinant. Il faut beaucoup d’humilité pour tourner un documentaire car, en dehors du cadre, nous ne contrôlons rien, ou presque. En fiction, nous maîtrisons l’histoire que nous avons écrite. La construction narrative précède le tournage. En documentaire nous esquissons une trame, quelques histoires dont on pense qu’elles peuvent se produire, mais tout reste incertain ! C’est cette contingence qui est très belle : tout est événement, même ce qui n’advient pas.

C’est pourquoi la question de la mise en scène est primordiale : c’est le seul pouvoir que l’on a. Maàlich s’est écrit à mesure que je tournais. C’est le lieu qui a présidé à mon envie de faire un film. Je n’avais vraiment aucune idée de ce qui allait se passer. J’avais cependant décidé d’intégrer au film la contingence du réel et de ne jamais taire la surprise mais de la montrer. J’avais demandé à mon cadreur de privilégier les longs plans-séquences, qui ont d’ailleurs souvent été montés tels quels par la suite. Un bon exemple de ce parti-pris serait la première rencontre avec Muslim, le Capverdien qui vit à l’extérieur de l’hôtel, sous les marches. J’arpente le chemin de service de l’hôtel côté Marne. La caméra est dans mon sillage, en plan large pour permettre la découverte du lieu. Soudain, une silhouette se découpe au loin, surgie de nulle part. Je décide d’aller à sa rencontre. Dans un premier temps, la caméra reste immobile, comme hésitant à me rejoindre. Dans ce temps d’arrêt, au fond du plan, j’engage le dialogue. Ce n’est qu’après ce temps de suspends, sans coupe, temps qu’on pourrait dire de courtoisie, qu’elle s’approche, dans les cahots d’un travelling avant sans filet. Lorsqu’elle nous rejoint enfin, la conversation avec Muslim est saisie in medias res. Le flux naturel des choses n’est pas cassé par une mise en place. Tout est brut."


* "Je n’aime pas les mécaniques trop bien huilées, les arcs narratifs qui ronronnent. Ces régimes systémiques d’images et de sons me dérangent. À ces ensembles totalisants, clos, je préfère le fragment qui interroge. C’est au spectateur de combler les ellipses qui donnent sens à l’ensemble. Je crois que la cohérence d’une œuvre ne se donne pas de la même manière pour tous. C’est pourquoi je me refuse à livrer une œuvre linéaire, qui imposerait un sens. La fragmentarité porte atteinte à l’œuvre fondée sur la perfection et l’achèvement, refuse le totalitarisme d’une parole continue, déterministe et fermée au hasard et permet la création dans le dissentiment : voilà pourquoi elle me plait tant."


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