* Nicole Kidman est une Minnie rousse. Deux oreilles de cheveux sont plantées sur sa tête. Parfois, leur poids la fait pencher d'un côté ou de l'autre. Elle a de petits gestes, étonnants, précis, modernes. Elle ne sort ni du magasin de poupées ni du musée Grevin. Quand la fiction en costume la rattrape, elle ne se laisse pas vieillir. Si l'homme sort avec fracas de la chambre, elle est assise comme un mec, l'amazone, et claque sur lui la porte, du bout des orteils - et qui ne voudrait être ainsi remercié, du coup d'un tel pied ? Si elle doit marcher vite, elle tire à belles mains le tissu sur ses hanches et dévoile ses chevilles, sans émoi - et qui ne saisirait l'anse accueillante qu'alors son bras dessine ? Quand elle enlève ses grôles, elle y fourre son nez pointu - et si ses pieds puent, on veut aussi les sentir. Quand elle chipe une cigarette, on accroche à ses mains les fils de nos yeux, et ceux des personnages, même les fils des objets - et le monde entier devient sa marionnette. La lumière est sienne, s'adapte à son corps. Quand elle se fantasme, couchant avec trois hommes, ces simulacres prennent forme puis disparaissent à son envie, dans des trucages à la Mélies. Dans le contre-jour, le crêpe cordiforme qui la couronne garde accroché dans ses boucles un peu du bleu du dehors.
* Mais sous les douches de lumière, dans cette espèce de crypte, à Florence, elle perd tout pouvoir. Ce n'est plus elle qui choisit le lieu, ce n'est plus elle qui décide de la lumière : c'est elle la marionnette. Malkovich joue au magicien, jaillit de nulle part, armé d'une ombrelle striée de noir et de blanc, qu'évidemment il fait tourner, marquant le départ de l'hypnose. Kidman, il la rencogne, il la ramasse, il la domine. La plaque au mur à grands coups de sérénade et d'effets de manche. On est tout près d'eux, on respire leurs haleines. Le coup de grâce surgit d'un raccord exorbitant : contre toute règle spatiale, s'élançant du fond du décor en un contre-champ d'une focalisation sauvage, un travelling avant, fulgurant, charge en leur direction, aplatissant Kidman plus encore contre la pierre, en renfort musclé de son amant malin - qui l'aime, dit-il, donc tout est donc perdu.
* Il faudra que ce même travelling avant, avec une même fulgurance, resurgisse d'un impossible point de coupe pour que Nicole Kidman reprenne les rênes de la mise en scène - il ne l'a jamais aimée, comprend-elle, et tout peut renaître.
* Mais en attendant ce travelling libérateur, Malkovich la tient. Ce n'est alors qu'affaire de porte-à-faux : tout comme la caméra de Jane Campion peut commencer à filmer de guingois et se redresser effrontément en cours de plan, Malkovich s'ingéniera à mettre Kidman en déséquilibre - à abuser de sa tyrannie de mise en scène pour la dépouiller du pouvoir qui était sien dans le premier tiers du film. Précisément : désormais, il la place. Dans une lumière blafarde, qui ridiculise sa nouvelle coiffure (c'est maintenant une corde qui enserre sa tête, mais dans le rayon pâle où Malkovich la fait assoir, la tresse fait brioche de cheveux, et peu appétissante pour tout dire ; par ailleurs, harmonisons les comptes, la pointe de flèche de la barbiche de Malkovich se révèle dans ce soleil mort triangle incertain de poils peu conciliants). Sur une pile bancale de coussins, disposés rageusement dans le hors-champ - et Kidman de se contorsionner tandis que, sous le cadre (quoi de plus ridicule que de lutter sous le cadre pour garder la face dans le champ ?), ses fesses compensent, droite, gauche, et cherchent leur assiette. Pire : à terre, par un croc-en-jambes félon, le pied sur la traîne de sa robe.
* Le film suit ce mouvement : 1- elle met en scène, 2- elle est mise en scène. Le troisième temps est celui du conte de fées, où les deux s'acceptent et s'épousent : son nouvel amant aussi sait son théâtre et surgit des buissons, enjôleur sylvain. Mais elle joue son rôle avec autant d'ardeur, autant de plaisir de l'effet, qu'elle aura même droit, in extremis, à un ralenti.
* Récompense pompière, soit, mais récompense sublime cependant.
samedi 10 mars 2012
The Portrait of a Lady
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