* Je n'avais pas vraiment prévu d'écrire quoi que ce soit ici sur Funny People, je pense que l'essentiel je l'ai dit sur le forum de FDC, où j'écris ceci, que c'est le film le plus proche de Freaks & Geeks, dans l'intention, dans son envie d'accéder à l'âge adulte, mais que quelque part, le film me paraît un peu forcé, qu'il reflète une envie d'atteindre une profondeur davantage qu'il l'atteint réellement, que son projet déborde un peu trop, qu'il n'y a pas la belle simplicité de la série, les ruptures de ton dont tout le monde parle sont un peu métronomiques, à mon goût, dans F&G ça s'opérait par subtils glissements de terrain, là Apatow vise à la grande forme, on le sent, et à mes yeux il s'y égare un peu, fait un peu le coq. Je ne dis pas que le film est véritablement prétentieux, ni qu'il est raté, il est souvent beau, souvent juste, souvent émouvant, je pense bien qu'il est sincère, mais moi qui pleure à chaque épisode de F&G je n'ai jamais retrouvé cette émotion-là. J'ai un peu l'impression que le film en fait trop, trop dans son écriture, trop dans ses intentions et surtout trop dans sa mise en scène. La photo de Kaminski se la joue, certains plans me paraissent gonflés pour pas grand chose (le travelling final, par ex), on est loin de la rigueur sans ambages, et pour le coup désarmante de simplicité, de la série, qui reste pour moi le sommet de la carrière d'Apatow (les épisodes qu'il réalise lui-même sont d'une sobriété incroyable). Ici, c'est très inégal, on a du champ/contrechamp plat, et puis soudain des plans qui se posent là, qui veulent se montrer plutôt que de montrer ce qu'ils contiennent... Le film aurait à mon sens gagné à être plus resserré, plus concentré, peut-être plus pensé. J'ai eu parfois la désagréable impression d'un film de scénario, un scénario remarquable à plusieurs titres, certes, très technique en somme, un scénario qui sait varier le ton dans une seule et même scène, dans un seul détail parfois (le coup du portable pendant Cats, c'est parfait, le contre-champ est rythmé parfaitement, préparé par l'axe du regard déjà en errance hors de l'écran, on ignore où, il ne regarde pas quand on lui dit de regarder, à la rigueur ça fonctionnerait presque même mieux s'il ne parlait pas ensuite, que ce seul désintérêt suffise) ; et parfois au contraire l'impression d'assister à un premier montage, que le film était à deux doigts d'être immense, mais qu'il était paradoxalement à la fois trop calculé et trop lâche (comme on dit d'un noeud qu'il est lâche, pas dans le sens de peureux).
* Voilà ce que j'en disais donc, et je comptais en rester là. Et puis il y a eu depuis la lecture du dossier des Cahiers du mois, qui m'a tout simplement rendu furax, par sa bêtise globale (je mets, disons dans le doute, à part le texte de Bozon, qui n'est pas sans intérêt, mais qui ne me semble au final jamais parler d'Apatow), par son acharnement à tenter d'inventer une contre-hype, qui n'est pas condamnable en soi, mais qui sonne ici tellement pré-fabriquée et mensongère, qui relève du "coup", qui n'a en outre pas le courage de son opinion, voir le papier de Garson, par exemple, qui commence timidement par se dédouaner, qui dit le cinéma d'Apatow est misogyne mais pas pour les raisons banales que vous croyez, il faut être beaucoup plus intelligent que vous le croyez pour le voir, et je m'en vais vous démontrer en quoi, et bien sûr je le ferai par omission, par du listing, indéniable de fait, puisque j'ai listé ce qui m'intéresse, et ai omis ce qui ne m'arrangeait pas. Malhonnêteté évidente d'un tel procédé (le papier de Bozon y passe d'ailleurs aussi, qui commence par dire en quoi Apatow et Hughes ne peuvent être comparables puisqu'un listing prouve bien qu'ils ne sont pas similaires, merci La Palisse).
* Qu'on se comprenne bien : je ne suis pas là pour ajouter ma touche aux lauriers que la critique française tresse sans doute exagérément à Apatow, je suis loin d'être aveuglé par tout ce qui porte sa griffe, j'aime the 40 year old virgin, même si je l'ai vu depuis un peu trop longtemps pour en bien parler, je n'ai aucun souvenir de Knocked Up, sinon qu'il m'avait déçu et globalement embarrassé, je crois bien, et pour Funny People voyez plus haut. Mais vous voyez d'ici mes gros sabots galoper : Judd Apatow, c'est aussi et surtout Freaks & Geeks (et par extension Undeclared, même pas mentionné d'ailleurs dans l'intégralité du dossier, qui en passe pourtant par des inédits dont il ne touchera d'autre mot qu'un vague pitch, The TV Set ou Kicking and screaming, par exemple -- enfin non, soyons juste, sur Kicking and screaming, Tessé, qui signe dans ces pages son pire papier à ce jour, et il fallait le faire, le type a en la matière du métier, se sent obligé d'ironiser "réalisée par le fils de Bob Dylan (American Pie 3, quand même)", pour ce qu'on en a à foutre...) et c'est aberrant si l'on décide de réfléchir à Apatow de n'en rien faire, de ce sommet, de n'y voir qu'un vivier à acteurs comiques (ah bon?) ou, pire encore, qu'"un film de campus étiré" (ah bon??), qui n'aurait pour projet que de "ressasser ad nauseam les tourments névrotiques et sexuels de jeunes gens ordinaires" (Tessé, toujours, bien sûr, qui assurément n'a pas dû voir la série, ou s'il l'a vue c'est que véritablement il devrait se reconvertir dans la boulangerie, au moins il serait utile à quelque chose, "pain gratuit et obligatoire" comme disait Jules Renard, là ce serait une noble cause). Mais c'est que l'usine à listings se casserait la gueule en beauté, plus aucun ne tiendrait le coup, plus aucun reproche ne se vérifierait, la belle cohérence thématique bricolée de toutes pièces avec du mauvais scotch, pour les besoins du "coup anti-hype", se décollerait d'un coup, il faudrait admettre qu'Apatow sait écrire des personnages féminins, qu'il ne passe pas son temps en-dessous de la ceinture, que le drame derrière le rire est un territoire qui lui est familier, que Hughes est un fantôme omniprésent, et surtout, surtout, surtout, qu'Apatow sait, ou pour le moins a prouvé qu'il savait, mettre en scène, et pas qu'un peu. Je ne vais pas ressasser ce que j'ai déjà écrit un peu partout au fil de L'Essaim sur la rigueur magistrale de la série, sur son intelligence esthétique, je vous laisse revenir de vous-mêmes en arrière si ça vous amuse. Mais à lire à quatre ou cinq reprises des affirmations péremptoires du genre "les effets de mise en scène ne sont pas le fort d'Apatow" (dixit Garson) (c'est quoi les "effets" de mise en scène? c'est grave docteur?), j'avoue que j'étais à deux doigts d'extraire un best-of des dix-huit Divx que je relance régulièrement avec toujours autant d'amour (je le ferai pas, voyez plutôt la série que des fragments).
* Numéro globalement à chier, par ailleurs, que ce 649. L'illusion du 648 n'a pas duré longtemps. Toute la partie finale, sur Fellini, on dirait que ça a été compulsé pour une brochure d'Agnès B. ou un supplément Libé (le plus comique étant bien sûr l'encadré minus "J'aime Fellini, par David Lynch").
* On me tape pas mal sur les doigts alentour, d'avoir laissé entendre que Fish Tank m'a bien cordialement repoussé. J'ai essayé d'expliquer un peu à L., à Kaherk, à Guigui, mais c'est pas facile ; Kaherk me dit qu'à son avis le problème c'est davantage moi face au film que le film lui-même. Ça me va très bien mais ça n'explique pas grand chose. Pour résumer rapidement, je trouve que le film porte bien son nom, que c'est le principe de l'aquarium dans un restaurant, avec ses plantes exotiques, son naturalisme qui tourne en rond, ses belles couleurs, ses plantes exotiques, et si l'on tape sur la vitre, ça s'agite. De temps en temps, on ouvre la trappe et avec elle la porte du suspense : bouffe pour poiscaille ou épuisette fatale? Même sentiment, en somme, que devant 4 mois, 3 semaines et 2 jours, cette immonde petite chose qui assimilait un fœtus à une assiette de rognons souvenez-vous, et qui travaillait à piéger son spectateur comme on met un ver à l'hameçon, multipliant les faux suspenses jusqu'à faire espérer le dérapage (à la Haneke, en gros, souvenez-vous la lumière vacillante dans le couloir, ayez peur, l'ampoule est naze). Fish Tank n'en est pas à ce point, je l'admets volontiers, mais quelque part je le trouve plus sournois, parce que plus habilement emballé, photo sublime de Robbie Ryan (qui avait fait celle, très belle aussi, d'Isolation) et 4/3 très bienvenu ; ça a en somme quelque chose à voir avec la tortue dans la baignoire de Naissance des pieuvres, cette manière d'appâter, de promettre qu'on va souiller, de dire "si ça dure, c'est que ça va mal se passer, ne partez pas" (du coup, ça n'a pas manqué, je suis parti au bout d'une heure vingt, manquerait plus qu'on me donne des ordres au cinéma), peut-être pas cette fois, mais soyez-en sûr, quelque chose arrivera dans le film, quelque chose de cet ordre, un viol peut-être, une agression, une mort, vous resterez n'est-ce pas, quand ça arrivera? Moi je serais resté si par exemple la magnifique séquence où toutes les ados chantent et dansent ensemble, un peu mollement, avait pu durer un peu. Mais évidemment la séquence doit s'achever sur un zen pété, on se croirait en France soudain, au cinéma français, il faut que l'adolescente fasse la moue et pète un nez. De même qu'il y a quelque chose de beau dans ce que Mia danse mal mais avec ferveur -- mais alors pourquoi filmer le moment où elle danse pour lui comme un lap-dance? Pour récompenser de l'attente? Et évidemment, deux minutes après : "Tu sais que je voulais t'avorter?".
* Là-dessus, c'est beaucoup plus compliqué de parler du Rivette, qui lui n'a rien de prévu, n'a pas "d'effets de mise en scène" précuits, n'escompte pas à la grande forme, ne piège personne, dérive au contraire à vue sur un scénario sans boussole, au seul service d'une mise en scène d'une ampleur époustouflante, ramenée à l'étroitesse évidente de ses moyens d'action. C'est un film de moments, volatil comme le souffle qui gonfle et dégonfle la toile cirée bleue du chapiteau lorsqu'elle et lui s'assoient dans les gradins et que la caméra semble flotter légèrement sur leur trouble, incertain et changeant comme ces lumières qui, allumées puis éteintes, redécoupent alternativement un plan-séquence nocturne dans ses différentes profondeurs, organique et concret comme le son mat et fragile des numéros de Wilfried... Il faudrait parler du film en l'ayant sous les yeux, j'ai l'impression qu'on ne peut en parler qu'avec qui l'a connu, un peu comme c'est le cas des personnes qui comptent vraiment ; mais il ne passe déjà plus nulle part. Dépêchez-vous si vous savez où le voir.
samedi 10 octobre 2009
Les effets secondaires.
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8 commentaires:
Je suis assez d'accord avec Thomas. J'ai l'impression que tu enfermes ton analyse de Fish Tank dans une figure de style avec ton aquarium.
La séquence de danse avec Fassbender n'est absolument pas filmée comme un lapdance puisqu'on a à aucun moment le point de vue de l'homme. Je trouve justement la mise en scène extrêmement forte à ce moment : elle propose deux régimes de cadre extrêmement distincts. Un cadre extrêmement serré sur Mia, de profil, qui est dans son monde, dans sa danse. Et il y a de la séduction dans cette danse, c'est évident, puisque pour elle, cet homme incarne une sorte de porte de sortie. Une possibilité de bonté dans son horrible monde fait de mocheté, de méchanceté, de vilerie. C'est de la séduction assez innocente. Puis il y a un autre cadre, dans l'axe de Fassbender, sur ses yeux et sur son corps allongé, avec Mia en amorce. Un plan qui est avec lui, plus sale justement dans le point de vue. Qui renvoie à la première scène entre les deux, lorsqu'il la portait, et qu'on voyait naitre cette sensualité dans son rapport à la jeune fille.
Tu en fais quelque chose de sale alors que ça me parait infiniment plus fin que ce que tu expédies.
Et franchement c'est laid d'être parti avant la fin!
Kaherk c'est Charly, pas Thomas :)
Bah je suis d'accord avec Charly alors!
J'arrive les mecs
"la critique française", "je ne suis pas aveuglé"... dieu que cette façon de se poser au dessus de la mêlée m'agace. "LA critique", si tu regardes bien, elle n'aime pas tellement Funny People, du moins elle a des reproches à lui faire, à peu près les mêmes que les tiens d'ailleurs (et ceux de 90% des gens avec qui j'ai parlé du film - pour une fois que "LA critique" semble d'accord avec "LES gens"...). Toujours cet argument de la grande forme, comme si Apatow devait rester ad vitam eternam dans la petite forme télévisuelle, comme si se coltiner ses scènes de la vie conjugale lui était interdit, comme s'il n'avait pas le droit d'évoluer, de grandir, pas seulement thématiquement mais aussi formellement (et l'apport de Kaminski est à ce titre colossal, qui rend certains plans a priori mièvres aussi tristes que du Spielberg)
Pour le reste...
Très beau, parce que très modeste, comme le film, ce que vous dites du Rivette.
d'accord aussi, comme Griffe, à propos du Rivette, mais je ne crois pas que le film soit modeste, il est discret, et on lui jette des regards discrets, de reconnaissance, en somme. Un film du sommeil, disait Biette.
Restons un moment sur Fish Tank - à propos de Funny People j'attends un peu de savoir vraiment ce que j'ai pensé du film.
C'est surtout ce que tu me disais sur FB que je trouvais injustifié : tourisme de la misère, esthétisation coupable de la pauvreté...
Déjà il y a quelque chose qui fondamentalement dans cette critique (qu'elle soit applicable ou pas au film) me gêne : pas le droit de faire du suspense, donc, avec des gens s'ils sont pauvres. S'ils sont pauvres, il faut les respecter, les mettre à distance, montrer qu'ils sont cool, ou pas, mais surtout pas faire du cinéma de genre avec eux. Surtout pas de sentiments, surtout pas de beaux plans, attention ! il faut que ça reste crasseux au possible.
Il y a une forme d'esthétisation à outrance de la misère qui est répugnante, c'est celle de La Cité de Dieu, du Slumdog Millionnaire, qui elle montre que c'est carrément cool les favellas.
Dans Fish Tank rien de tout ça. Il y a des immeubles qui sont gris, oui, mais rien n'est clippé, rien n'est magnifié. La seule chose qui est magnifiée, c'est le regard que pose la réalisatrice sur son personnage féminin, et sur l'homme dont elle est amoureuse.
Dans 4 mois, etc, jamais il n'y avait cette ouverture, cet "autre" qu'il y a toujours dans Fish Tank (en gros on restait dans la crasse et la saleté et la misère). Ici, il y a cette échappée dans la nature, il y a cet homme d'un autre milieu social, avec des façons plus douces, une patience sans limites, il y a les jeunes dans la caravane, qui représentent une misère carrément autre, il y a l'échappée avec l'enlèvement comiquement raté de la petite fille (que tu n'as pas vu, salaud, tu étais parti). C'est tout sauf un monde clos, c'est un monde qui peut déborder à chaque moment.
C'est disons, un film qui montre qu'il y a la possibilité d'un monde clos, mais aussi la possibilité d'un ailleurs. Je préfère ça au dernier Kechiche où là le monde est vraiment clos, il n'y a pas d'ailleurs, tout est verrouillé. Toi tu ne vois que le monde clos parce que ça te révolte qu'on le montre comme clos (alors que merde, demande à n'importe qui habitant dans une grosse cité, c'est l'impression générale qui en ressort, celle d'être dans une île qui n'a rien à voir avec le reste du pays).
On croirait à te lire que tu attaques un film social anglais à la Ken Loach, alors qu'au contraire ce que j'ai vu là c'étiat une promesse de misérabilisme à la Ken Loach, qui était sans cesse démentie par les faits : on croit que ça va être glauque, ça ne l'est pas, on croit à un enlèvement, en fait non, il va tourner mal, en fait non. Tout n'est là que pour dire "attendez le monde n'est pas un film de Ken Loach, la banlieue n'est pas forcément dramatique, c'est parfois aussi tristement banal".
Par contre je suis 100% d'accord avec toi : le personnage de la mère est catastrophiquement écrit, c'est le seul qui coince, qui est outrancièrement mauvais, outrancièrement unilatéral.
D'ailleurs il me semble que tu n'as pas vu la scène de l'audition, très belle... Ah ton regard, Guigui, c'est pas la première fois que je remarque qu'il pose problème.
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