* Qu'est-ce qui lui est reproché, finalement, à Apatow, sous l'étiquette bien utile du conservatisme, du familialisme? J'ai relu un peu le dossier au réveil, et j'en déduis qu'on lui reproche de n'être pas misanthrope, on veut que Sandler soit plus cruel encore, on veut que tous les personnages soient pleins de colère et d'amertume comme Eminem dans son caméo, on veut que les couples se déchirent, que ça clashe, que ça se haïsse, que ça ne veuille plus se voir, on souhaite, dans Les Cahiers du mois, des personnages égoïstes et mauvais, on redit le fameux et absurde "les gens heureux n'ont pas d'histoire".
* On dirait qu'il est inconcevable que la somme d'actions, de discussions, de reculades, d'avancées, d'hésitations, d'un personnage complexe, lorsqu'elle en arrive à la fin de son déroulé, ne puisse être vue autrement qu'en tant que morale. Je suis assez bluffé de lire qu'Apatow serait rétrograde, qu'il mettrait le couple avant tout, la famille avant tout (non, il met l'Amour et l'Homme avant tout, après qu'il le fasse habilement ou non c'est un autre débat, mais sur le fond moi je ne vois que ça). Si l'on réfléchit cinq minutes à la fin du film, Sandler avant toute chose est profondément déçu, déçu par celle qu'il aime, déçu qu'elle puisse aimer un con, et qu'elle rationalise plutôt que de suivre l'élan fou de son cœur ; Sandler ne sait qu'une chose, c'est qu'il l'aime, et l'amour est plus fort que la déception, il l'aimera au-delà, ne cessera de repenser à elle, elle l'accompagnera toujours, sera là ; et elle, il l'accompagnera aussi, c'est une marque au fer rouge qu'ils partageront ; certes les circonstances ternissent la belle, elle n'en sort pas grandie, sa maladresse est immense, Sandler en sort KO, complètement assommé, elle n'a pas mesuré les conséquences, elle lui a fait très mal ; et on le comprend et on compatit ; et à la fois, à elle, on lui en veut et on ne peut pas la haïr, on pourra continuer avec lui de détester Bana et dans le même temps accepter que la femme rêvée puisse aimer autrement, puisse désirer autre chose que la seule passion, ce n'est pas un point de vue a-romantique, c'est au contraire le point de vue d'un romantique blessé, à la fois précipité dans le mur du réel et lui-même en équilibre dessus. Briser un couple n'est pas l'Interdit, Apatow ne condamne pas l'adultère, au contraire il le comprend et l'interroge : il s'agit seulement de dire que ce n'est pas rien, et qu'il faudra d'abord en passer par une solution de compromis, que le bel irrationnel de l'Amour, celui qui seul vaut qu'on ait le cœur qui bat, évolue nécessairement à l'intérieur d'un espace rationnel, qu'il faut faire avec ; je ne veux pas parler de résignation, on peut décider de l'envoyer valdinguer, avoir un idéal amoureux et avoir la chance de trouver l'autre qui y est réceptif. Mais la décision de l'envoyer valdinguer signifie toujours déjà reconnaître qu'il existe.
* En somme, Funny People dit (je parle là simplement du fond, je maintiens mes réserves de forme) l'inverse de ce que Les Cahiers lui reprochent, raconte comme il est compliqué, comme il est héroïque, de résister au cynisme. Quand je lis dans l'article de Nicholas Elliott, vrai article de connard pour le coup, que les héros de 40 ans toujours puceau et Knocked Up sont "des amants si courtois qu'on se demande si de tels spécimens existent dans la nature", je me dis que cette résistance-là a de la valeur et de l'avenir.
dimanche 11 octobre 2009
Post-scriptum.
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14 commentaires:
J'étais aussi assez surpris de trouver 19 ou 20 pages dans les Cahiers pour assassiner leur couverture.
Je vois d'ici la bataille Cahiers/Inrocks se placer en ordre de marche. C'est un peu fabriqué en effet, même si c'est la première fois depuis bien longtemps que je lis un numéro des Cahiers pratiquement en entier...
Cependant, en lisant entre les lignes, (à part Tessé peut-être, le plus cynique de la bande) j'ai l'impression qu'ils s'excusent tous plus ou moins d'écrire contre. Alors qu'il n'y a pas de honte hein, faudrait qu'ils assument. Je me souviens d'un texte de SR dans feu mon blog qui commençait à esquisser une critique d'Apatow un peu plus fine que tout ce torrent d'injures...
Bref. Bon pas vu ce film, encore, sinon...
D'autant, ai-je envie de dire, qu'il est gentil Apatow mais d'ici à écrire des thèses sur son cinéma...
Et je le dis d'autant plus volontiers, que j'ai apprécié ces précédentes comédies, mais de là à ce que la critique s'en empare, en débatte, il me semble que c'est de l'encre versée pour rien...
D'autant que le film a l'air assez mauvais, en fin de compte.
Résumer Apatow à ses seules réalisations, c'est également se fourvoyer je pense.
C'est justement parce que son influence est extrêmement étendue qu'il me parait important que ce soit discuté.
Tout à fait d'accord avec votre analyse de la fin du film. Ceux qui jugent le film familialiste et conservateur, voire réac, n'en restent qu'au scénario. Tessé fait finalement la même erreur que ceux (qu'il n'avait pourtant pas manqué de brocarder à l'époque) qui voyaient dans La nuit nous appartient un éloge de la police.
Oh la je pensais pas qu'on pouvait encore lire sur des blogs comme ça ou sur des forums intelligents les commentaires de pradoc et Roland... Bon, passons.
Beau texte GM
Merci Kaherk. Ton ouverture d'esprit est impressionnante. Et je te remercie de me remettre à ma place avec les cancres et les idiots. Oh ! Toi le Bac+5 qui fréquente uniquement des forums intelligents...
Désolé d'avoir fait tâche dans le temple du génie.
Il me semble pourtant que les commentaire sont autorisés à tous et que je suis libre d'y écrire ce que je veux.
Mais bon, inutile d'insister, je ne faisais que passer. Je ne vais pas taper l'incruste. Ce n'est pas mon genre.
Cela dit, si tu penses que j'accusais ton pote GM de palabrer sur Apatow, c'est un malentendu.
Ce que je veux dire c'est que contrairement aux tentations de la pop-philosophie qui prétend tout étudier, je pense qu'il y a des sujets qui méritent l'ignorance pour en bien parler.
Bref, désolé pour ma survenue. Je vous laisse entre grands esprits. A+
Ne partez pas, pradoc! Je ne vous connais pas moi, postez, postez tout ce que vous voulez.
Ok ! De toute façon, je ne suis jamais très loin, en tant que lecteur de blogs compulsif...
A+
No offense !
Pradoc a raison, ne parlons que des vrais cinéastes, les cinéastes sérieux, avec de vrais sujets ; pas la peine de s'embarrasser de ces cinéastes américains mainstream, suppôt du divertissement, qui, on le sait bien, n'ont jamais rien fait pour faire avancer l'art cinématographique...
(je grossis le trait à dessein, mais c'est ce que je lis entre vos ligne, à moins que je me trompe et dans ce cas je serais curieux de savoir pour Judd Apatow ne mérite pas qu'on lui consacre une thèse).
Sinon, M a raison : à force d'évacuer la question de la mise en scène chez Apatow (il n'y connait rien, c'est acquis et ne se discute plus), on en vient à faire des contre-sens, à le traiter de reac alors qu'il passe son temps à montrer (et pas à dire) que la famille est un projet terrifiant.
(c'est ce que je te disais, chez Guillaume, hier soir à propos du dernier plan de Knocked Up, cette petite route cabossée qui mène à l'autoroute du conformisme).
Non mais surtout, qu'est-ce qu'on en a à foutre d'écrire une thèse sur tel ou tel cinéaste?! C'est un gage de qualité, maintenant? Ca prouve quelque chose? Si vous voulez moi je vous ponds une thèse sur "Le Grand Bleu"... (réponse possible de pradoc : "Ah oui mais attention, faut pas croire, c'est vachement bien le Grand Bleu, c'est bourré de symboles psychanalytiques, on peut s'appuyer sur Freud, Lacan et tout et tout..."). Ca va pradoc, je rigole, pas la peine de s'énerver.
Allez donc voir "Funny people" et, au lieu de commencer à chercher le titre de votre futur sujet de thèse, regardez, écoutez, et laissez l'émotion monter en vous. Après, peut-être, vous aurez l'envie de réfléchir.
Je n'ai pas grand chose à dire sur Apatow. Si ce n'est que j'apprécie le soin apporté à chaque personnages même secondaires dans ses films et cet optimisme très américain pimenté de trash qui fait le sel de ses meilleures comédies.
Maintenant, j'ai l'impression qu'il est passé sur le divan récemment ou qu'il s'est mal remis d'une rupture. Ce qui fait que je le trouve moins impertinent et suis moins enclin à le suivre dans ses nouvelles réalisations.
D'ailleurs, j'ai été assez déçu par "Sans Sarah rien ne va" qui marquait déjà le début d'une capitulation.
Je veux dire que les personnages de femmes dans Apatow sont nettement moins intéressants que ses histoires d'amitiés.
Au final, je me demande même si je ne préfère pas Will Ferrel...
Quoique mon vrai dieu en matière de comédie soit Southpark.
PS : Ca y est, je me suis incrusté dans le débat ! Désolé !
Il faut qu’à sa lecture on se dise que ça valait la peine de l’écrire, que ça ouvre des portes et des fenêtres, que ça rend le cinéma plus respirable (parce qu’on se cogne contre les murs, je trouve, et depuis des années), même si l’article au final n’a plus grand-chose à voir avec l’objet-film. Concernant le dernier numéro des Cahiers, je partage l’avis de GM et des autres : ce n’est ni hors-sujet ni dedans, c’est hypocrite et revanchard, schizo et décevant. Moi, étant donné que je trouve le niveau du cinéma généralement très bas, je suis à fond pour un décryptage de l’idéologie des films. De fait elle a lieu un peu partout mais ça reste larvaire, et donc ça manque. Dans l’article de Tessé par exemple il y a deux ou trois mots-repoussoirs (conservateur, etc.) balancés comme ça, sans effort et sans sincérité. Sinon, j’ai détesté Funny People, que puis-je ressentir devant les états d’âme d’une poignée de connards narcissiques et arrivistes ? Ça n’a choqué personne, la façon dont l’affreuse trahison de Seth Rogen est expédiée ? Une engueulade vite interrompue, des yeux mouillées à table, et hop ! C’est du cinéma complètement impressionniste, pas structuré, pas synthétique, à la Woody Allen effectivement (dans ses très mauvais jours), de sorte qu’on peut en dire tout et son contraire, que c’est réac (ça se défend) ou que ça critique la Famille (ça se défend aussi). Une auberge espagnole (pourquoi pas, du reste) soutenue par des blagues plus ou moins drôles (dont seul le rythme compte), des retournements d’humeur, des démystifications faciles (sous le cynisme, un cœur qui bat, et vice-versa). Tout ça filmé souvent à la truelle, à mon sens, voir les longues pubs sur le quotidien de Sandler ou les séries de prestations des comiques (c’est déjà ce genre de séquence « ambiance » qui rendait En cloque lourdaud). Et, au fond, la question c’est : qu’est-ce qui retient l’intérêt, provoque la curiosité, fait qu’on veut en savoir ou en voir plus sur ces gens-là qui vivent ces trucs-là, sur leurs humiliations, leur manque affectif, leur autosuffisance, leur nostalgie ? Je dis ça pour ceux qui ont aimé, moi je me suis emmerdé totalement, ces gens et leurs histoires ne m’intéressent pas. Ils ne sont pas beaucoup plus beaux, je trouve, que les bourges de chez Jacquot ou Desplechin. Bref, au-delà de la densité numérique du bonhomme (tant de productions, des films de 2h30, une myriade de potes et de plaisanteries sur le zizi), j’attends de lire l’article qui me fera reconnaître l’importance d’Apatow (je veux dire, ce qui justifie qu’on le ressorte à tour de bras ces mois-ci). Je ne comprends pas bien ce que vous voulez dire, GM, par : son sujet c’est l’Homme. (Je précise que j’ai rien vu de Freaks & Geeks.)
Ce sont des films d'amour, des films humanistes. Parfois ratés.
En ça au moins (leur humanisme, pas leur ratage) ils n'ont rien à voir avec les croûtes de Desplechin ou Jacquot, je leur rends cette justice.
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