jeudi 27 janvier 2011

Le complexe d'Ulrich Köhler

* Finalement, après une poignées d'années, on s'aperçoit que ce qui a séduit la presse dans la nouvelle vague allemande, c'est surtout le retour d'un droit au naturalisme, redevenu tolérable parce que teinté d'un exotisme allemand un peu bizarre ; disons un naturalisme avec des excuses. L'une étant, souvent, reconnaissons-le, un souci formel, un soin, comme on le dit d'un élève soigné. Les cadres sont bien tracés, comme on souligne un titre en rouge, à la règle, disons que c'est suffisamment a-télévisuel pour n'avoir pas l'air français et c'est déjà quelque chose, j'en conviens.

* Alle Anderen, ce fut donc un déchaînement démesuré de dithyrambes, Delorme dégainant même Bergman et Fassbinder, c'est dire. Non que le Maren Ade fût déshonorant, mais comme Ostria l'écrivait bien sur son blog (avant de complètement se contredire dans l'Humanité et les Inrocks, allez comprendre) : "Faux problèmes de couple bourgeois sans problèmes en vacances en Sardaigne. Évidemment je m'en doutais en lisant le dossier de presse avant la projo, quand j'ai vu les références de la cinéaste : Doillon, Pialat, Cassavetes. C'est amusant, ceux qui se réclament de ces cinéastes font en général des films complètement raplaplas, sans la moindre substance. Prix de la meilleure actrice au Festival de Berlin. Presque toujours les prix désignent les œuvres les plus académiques. Le pire dans ce film, c'est sa mentalité quasi-néo-colonialiste : ça se passe en Sardaigne et on ne voit et n'entend que des Allemands. Les autochtones font à peine couleur locale, dans les supermarchés ou à la radio."

* M'est avis en somme que ce jeune cinéma-là, qui n'a de jeune que l'étiquette, souffre du complexe d'Ulrich Köhler, du nom du génial réalisateur de Montag kommen die Fenster, réussite totale, vrai chef-d'œuvre de dérèglement du naturalisme par les artefacts du genre, dont le brouillon était contenu dans le déjà impressionnant Bungalow, inédit par chez nous. Revu cinq fois depuis sa sortie pour bien m'assurer que je ne rêvais pas, Montag ne s'épuise jamais, par sa puissance comme incontrôlée, sa spontanéité contenue comme on contient un cri en une cage thoracique solidement serrée, ses plans composés comme pour y soutenir les corps, qui sans cesse semblent devoir en tomber comme on chute d'un immeuble. Le trivial rendu sublime (ce plan dans la salle de bain, où elle se lave les pieds, liane de jungle dans des chiottes céramiqués),


les surgissements violents (quand soudain elle tire les cheveux de sa fille), les égarements du récit autant que du montage, ce pull qu'elle porte à la fin autour du feu... Le réel jamais ne se dément, et le naturalisme devrait s'y engouffrer, mais dans ce pull, dans ce feu, dans ce lavabo, toujours autre chose surgit, qui relève d'un enchantement du réel, qui à lui seul transcende le désenchantement neurasthénique que contient par essence le naturalisme.

* Unter dir die Stadt, de Christoph Hochhäusler, est peut-être le seul à œuvrer sincèrement à compenser ce complexe. Quand les précédents Hochhäusler, Milchwald et Falscher Bekenner, étaient à mon sens ratés, lourds de leur glauquerie appuyée, trop attachés à faire sens, à faire conte, à faire thèse, Unter dir die Stadt ne s'embarrasse plus de cela, reprend la voie creusée par Montag de l'errance adultérine (pour dire vite) d'une femme qui n'a pas vraiment de raisons de le faire (cette voie-là déjà est anti-naturaliste : le personnage n'a pas de problème, c'est la nécessité de la fiction qui lui en pose un, c'est en un sens exactement la même chose que L'Écornifleur de Renard qui voudrait par exemple violer "comme dans un roman", parce que le monde, se persuade-t-il, ne peut s'offrir à lui que "comme dans un roman", et est décevant s'il ne restitue pas ce romanesque, quand bien même autre chose que le romanesque serait possible), et la laisse se faire contaminer par des artefacts fictionnels. En théorie en tout cas, car Hochhäusler est encore un bon élève, appliqué, et ses intentions souvent ne se déplacent que du scénario au storyboard, quand Köhler les intègre organiquement à sa mise en scène. Régulièrement, donc, un peu comme dans le Parc de Des Pallières auquel il fait énormément songer, le plan seul, comme tel, d'une réunion de travail dans un immeuble en verre filmé depuis un point flottant et indécidable du ciel, hurle sa volonté de codes empruntés à la froideur métallique de la SF. Mais ce pêché d'y trop penser sera toujours à mes yeux moindre que celui de s'en foutre et de juste bien composer, bien équilibrer, bien doser et on passe à la suite.

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