jeudi 27 janvier 2011

Tables lumineuses.

* L'expérience avec le montage du film co-réalisé avec Jiko, et qui cherche encore un titre, autour d'une résidence de bande dessinée, est assez neuve pour moi, en ce que cette fois-ci, entre le projet écrit, le tournage et le montage, les modifications sont si fortes que jamais, dans ces trois étapes, le projet mental du film ne fut le même. Il est habituel pour moi qu'il se transforme à mesure que le réel se heurte au désir de film ; il est habituel pour moi qu'il y ait évolution ; mais un tel changement, je ne le connaissais pas. C'est tantôt déstabilisant, tantôt grisant, tantôt décourageant. C'est toujours un sacré travail, chaque jour de montage est une surprise, une tentative sans filet. On monte par blocs de pensée, en se dessinant au radar un chemin narratif, volontairement souple ; on monte disons ce qu'on a envie de monter après la séquence qu'on vient de monter, en se disant que si l'envie dicte ça, c'est qu'il est possible que ce soit cette séquence qui doive suivre dans le montage narratif tel qu'il sera in fine (mais rien n'est moins sûr). C'est de l'ordre du pari, on n'en sait foutre rien, mais c'est exaltant de tenter. Ou périlleux. Ou terrifiant.

* Ce que ça occasionne, c'est une collision bizarre : monter une séquence, ce n'est jamais la monter comme telle, comme isolée, comme court métrage indépendant du reste. La pensée du montage est théoriquement toujours pensée de l'avant du plan et de l'après du plan. Cet avant et cet après sont, par définition, puisque le film est en chantier, toujours un pari de l'avant et de l'après, un possible avant et un possible après, que seul le dernier instant du montage validera définitivement (et c'est toujours un déchirement, car c'est toujours sacrifier mille options au profit d'une seule, dont on ne saura jamais vraiment si elle est la bonne). Étrangement, cette théorie (venue par la pratique) du montage, est souvent résolue par cette idée que si ce n'est pas cet ordre, on n'en sera pas loin, puisqu'on sait quand même où l'on met les pieds. Le vertige que je ressens chaque fois que je monte ce film, c'est justement que cette théorie du montage y est validée à plein, je n'y ai jamais autant été. Tout est possible et il n'y aura que du choix ; et soyons clairs, je ne vois pas en quoi un choix de montage pourrait relever d'autre chose que de l'intuition, donc du pari (pas du hasard réellement, même si parfois celui-ci révèle une possibilité inattendue, je l'ai éprouvé récemment sur le montage d'un autre film, avec AM, où des accidents de tournage tombés par hasard dans le montage dévoilèrent malgré eux une piste esthétique et narrative qui renforça formidablement notre projet).

* Terreur du montage, donc, mais terreur stimulante : chaque fois qu'on s'y met j'ai l'impression d'affronter un démon, d'avancer au péril du film, j'ai sans cesse peur que le film me dise au détour d'un raccord qu'il ne va nulle part. J'en angoisserais.

* Puis j'en parle à J, je laisse couler toutes mes peurs, mes projections, mes inquiétudes, mes soupçons de manque. Et elle, en m'aiguillant simplement, des yeux, d'un mot, d'une hésitation, d'un enthousiasme inopiné, me les renvoie. Les fait forces.

* Un monteur amoureux est un bon monteur. Pas parce qu'il est amoureux, mais parce qu'il parle tellement mieux, nu.

* Leçon d'un an de Triptyque : il faut dire non seulement ce qui ne va pas mais aussi ce qui pourrait ne pas aller. Comme ça on le sait, on fait avec, on renverse la vapeur. Ou même on comprend qu'au contraire, c'est ce qui ira le mieux.

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