* Sur Li Ké Terra, premier documentaire portugais et prometteur de Filipa Reis, je n'ai pas énormément de choses à dire ; sinon que : s'il est en effet prometteur, c'est pour ce qu'on y sent en puissance, et qui est ici cassé par d'étranges choix. Le cadre souvent laisse à espérer beaucoup du plan, et plusieurs plans d'ailleurs tiennent leurs promesses (les premiers plans sont assez géniaux, notamment le profil des quatre rappeurs alignés, aux corps agités de leurs rythmes propres, moment sublime), mais il sont brisés par un montage peureux, qui tente de retrouver une forme conventionnelle faite de voix over, de liaisons, de plans de coupe, etc., comme avec remords. Je lisais hier je ne sais plus où, il faudrait que je retrouve, cette question : est-ce qu'on peut accepter le plan de coupe dans le documentaire? Est-ce qu'on a le droit au plan de coupe dans le documentaire? C'est d'autant plus une bonne question que, chaque fois que j'en ai eu besoin (ça se compte sur une main), j'ai regretté de l'avoir fait. A une exception près : mais alors ce n'était pas mon film que je montais, mais un plan de la maquette du film de TJ. Mais pourquoi, ce plan, je ne le regrette pas? Peut-être du fait de n'avoir pas les scrupules du souvenir du tournage? Toujours est-il que ce plan de coupe-là, je le revendique et le trouve juste, tandis que les autres que j'ai pu, pourtant avec grande parcimonie, utiliser dans mes films me gêneront toujours.
* Non, sur Li Ké Terra, c'est ce plan qui m'interpelle : en plan large, au très petit matin, la caméra est dans la chambre avec son personnage endormi. On distingue sous la couette la forme de son corps, on entend sa respiration. En plan-séquence, il va s'éveiller, couper son réveil, sortir du lit, s'habiller. Puis, suivant un découpage très fictionnel, il partira se laver et prendre son petit déjeuner. Que veut dire être dans cette chambre à cette heure-ci, avant le réveil du personnage? Muet, debout, caméra sur pied, à attendre, à viser, à l'affût, le gibier du réveil s'échappant du terrier sommeil? Est-ce à dire que Filipa Reis a passé la nuit blanche là, à guetter ce réveil? Est-ce la caméra, restée à tourner toute la nuit sans opérateur, qui, seule, a capturé ceci? Le film ne se pose pas la question, il est content de sa construction de fiction, et ne voit pas matière à s'interroger sur les conséquences pratiques, morales, esthétiques et politiques d'un tel choix. Armand, 15 ans l'été, je l'ai écrit, fonctionnait sur un découpage fictionnel et aimait à jouer sur la surprise esthétique pure de ses cadres ainsi suscitée (mais comment fait-il?). Ce n'est pas le même jeu ici : on fait comme si de rien, alors que cet envahissement hors limite est autrement plus gênant, malaisant. Comment peut-on accepter, spectateur ou documentariste, d'une caméra qu'elle devienne de surveillance?
samedi 11 juin 2011
Couper, dormir.
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