* À force, j'accumule et je me demande ce qu'il faudrait pour que l'audiovisuel français, dominant essentiellement mais pas que, se botte un peu le cul. Je commence à connaître l'envers des décors, j'ai tâté du mainstream comme de l'art&essai, de l'UGC comme de la petite boîte obscure, j'ai dû toujours mal tomber.
* Plus ça va, plus la faute me semble incomber à la production, je n'arrive pas à voir les choses autrement, c'est tout de même le maillon décisif, celui qui décide de la potentielle mise en chantier, qui donne son feu vert, greenlightage qui sera suivi ensuite ou pas par le CNC, les chaînes, les Sofica et tout le tintouin, qui sont aussi coupables, bien sûr, puisqu'il arrive ce moment fatidique où ils valident et débloquent les fonds. Mais à la base, la force de proposition, elle vient des producteurs, qui portent leur projet donc doivent bien, d'une manière ou d'une autre, y croire.
* J'en discutais pas plus tard que tout à l'heure avec Jiko, moins au fait des mécanismes à l'oeuvre, et nous déprimions de conserve à feuilleter les potentielles cases dans lesquelles un de nos projets pourrait se faufiler. La grille des programmes, évidemment, nous est tombée des mains, il n'y avait rien à faire, rien à tenter, si on tentait ce truc, alors il faudrait s'adapter à cet autre truc, si on décidait de cette durée, alors on ne pourrait pas prétendre à... Et puis il y eut ce coup de fil à Noony, qui lui commence à être vacciné, ne s'effarouche plus, a compris, tente d'en faire son parti, et nous conseillait d'ajouter voix off ici, gimmicks là, noms connus partout. Il a raison, bien sûr, si on voulait que ledit projet soit viable, il fallait en passer par là, mais alors le projet n'était plus à nous, il se fondait dans la masse, se conformait, et l'envie d'en être de nous passer. Aucun producteur ne nous soutiendrait, ça ne vaudrait même pas la peine, pour aucun producteur, de perdre du temps à frapper aux portes avec un tel projet. Bien sûr, bien sûr, je le sais, commence à le savoir par cœur, m'y confronte sans cesse, voyez le post d'hier par exemple....
* Mais je ne peux pas m'empêcher de penser qu'il faut bien un moment où les chaînes ont besoin d'alimenter leurs tuyaux, et que si le panel de choix était plus ambitieux que l'auto-censure des producteurs l'autorise... Rêve, doux rêve, bien sûr, Jiko me demandait ce qui empêchait l'un ou l'autre des décideurs de tenter un truc, de temps en temps, de lancer un ballon d'essai, à perte, un peu comme les danseuses en édition. On peut accuser le système entier, mais alors rien ne bouge. Si j'en veux de plus en plus à la production française, c'est que je la trouve simplement, majoritairement, sans couille. Sans ambition. Sans exigence.
* Je me souviens d'une discussion pas très vieille avec CdZ, qui m'expliquait son besoin de critiques pour son travail, et que ce besoin était rarement satisfait, et que c'était dommage, que ça ne permettait pas de prendre du recul ; nécessité d'être réveillé, secoué, de manière constructive s'entend, bien sûr, d'être accompagné, qu'on demande mieux, qu'on nous demande le meilleur, de nous surpasser, de remettre l'ouvrage sur le métier.
* Autant il ne m'est pas simple de percer à jour les raisons du refus d'un producteur, ou d'un éditeur, ou de quelque commission, qui en général s'expliquent tellement peu, qui en général disent non et n'encouragent en rien ni même ne découragent, n'affichent pas leurs goûts, leurs envies, leur ligne, autant les bras peuvent m'en tomber quand je vois ce qu'on signe.
* Prenez l'exemple, et tant pis qu'il s'agisse de tirer sur l'ambulance, l'exemple du cinéma de genre à la française, territoire sinistré s'il en est. Comment Richard Grandpierre peut-il donner son blanc-seing à des machins comme Martyrs ou Dante 01? Qui, honnêtement, n'aurait pas pu deviner que les 7 millions d'euros de Dante 01 seraient gâchés dès lecture du projet? Qui a pris la peine d'au moins lire les dialogues à voix haute? Si quelqu'un l'a fait, alors il faut qu'il change de métier, on ne peut pas valider un truc pareil. Et quand bien même, qui a pris la peine de regarder les premiers rushes et de tirer la sonnette d'alarme? Entre ceux qui jouent comme des cochons et ceux qui font ce qu'ils peuvent avec le texte merdique qui leur est donné à se mettre en bouche, comment le mur vers lequel les acteurs fonçaient à toute blinde n'a-t-il pu être évité? Et qui a pris la peine de discuter de son projet de mise en scène avec Caro? Pas de ses effets visuels, qu'on s'entende bien. Pas de son production design, pas de ses maquillages, mais bien de sa mise en scène. La gratuité phénoménale du moindre des effets du film (et il y en a un sacré paquet) crève les yeux de quiconque jette un œil à quelque séquence que ce soit. Où était alors la production? Qu'est-ce qu'elle foutait?
* Ou bien faut-il dès lors supposer que les scénaristes français n'ont que de la merde à proposer (ceci dit, ayant fait office de lecteur chez UGC un temps, je dois bien avouer n'avoir rien croisé de bon, de tout le temps où j'y pointais...), et que c'est la moins odorante qui, de fait, a les honneurs. À partir de quand considère-t-on qu'un projet est passable? Et, de là, depuis quand "passable" suffit à une mise en production?
* Je sais bien qu'il y a des impératifs, que certains films doivent vite se monter et se financer pour rembourser l'échec du précédent, que pas mal de boîtes vivotent de cette manière, sur respirateur artificiel... Mais quelle indulgence! Et j'en ai vu autant chez les "petits", les "modestes", j'y ai vu une même... fainéantise? lâcheté? indolence? Je ne sais plus comment appeler ça. Ce projet est en réécriture depuis six mois et il n'est toujours pas bon? Oui, mais ça fait six mois! Tant pis!
* Je parle des autres, mais je peux aussi bien parler de moi, je pense que Passemerveille, par exemple, est entré en production beaucoup trop tôt, que l'écriture n'était pas achevée, et qu'on avait de la veine qu'il s'agissait d'un documentaire, que le tournage a permis de rattraper le coup, que le montage a pu se permettre de prendre son temps. Mais continue à m'être avis qu'avec une phase d'écriture mieux concertée, plus approfondie, plus longue, pas plus longue pour être plus longue, entendons-nous bien, je n'ai pas de durée adéquate à indiquer, la bonne durée c'est la bonne durée, que donc avec ce travail supplémentaire, on aurait évidemment pu mieux faire.
* Évidemment il n'est pas dur d'imaginer l'excès inverse, un excès de frilosité, un surverrouillage, on est bien d'accord, je suis pas stupide à ce point, ce à quoi j'aspire est évidemment dans un entre-deux salutaire. Et il n'y a bien sûr pas de formule magique qui soudainement rendrait tous les films meilleurs, il y a bien sûr quantité d'exemples de films écrits, tournés, montés, produits en un mot, à l'arrache, et sublimes malgré tout. Mais le cinéma français, lorsqu'il n'agit pas qu'en fonction de ses futurs annonceurs TV, a cette prétention de croire à ce mythe que tout type armé d'une caméra et d'une vague envie en est capable. La facilité dans ce débat étant bien sûr toujours de chier au visage de la Nouvelle Vague, qu'on accable de tous ces maux par commodité, sans pour autant tenter de soigner le mal dont on l'accuse d'être à l'origine. Qu'y peut la Nouvelle Vague si on l'a surestimée jusqu'à assimiler son héritage de traviole?
* Oui, bon, vous me direz que je mélange encore un peu tout, hein, mais c'est ma spécialité, ça.