jeudi 17 avril 2008

In reindeer shape across the sky.

* Coïncidences de distribution, bien sûr, ne commençons pas à jouer au journaliste cinéma : la même année, Sub, Les Hommes et Le Voyage Perpétuel (+ la rétro Lehmuskallio/Lapsui), trois documentaires sur les terres gelées du grand nord, trois propositions différentes, certainement trois des meilleurs films de l'année.

* Je n'ai pas aimé du tout la soirée de clôture de la rétro L/L, il était sans doute temps que ça s'arrête, peut-être aussi que moi-même je saturais d'enchaîner leurs films à ce rythme, je ne sais pas. Le vrai problème est plutôt venu, selon moi, du débat d'après-séance. J'étais resté parce que celui de samedi dernier était plutôt beau, bien qu'on n'y avait pas énormément directement parlé de cinéma. Mais avant-hier soir, c'était comme retombé, les traducteurs/universitaires semblaient à la fois grisés d'avoir été si intensément sollicités sur cette période, et un peu las, heureux en quelque sorte d'en finir (ça doit être épuisant de jongler entre le français, l'anglais, le finnois et le russe en permanence) (ce qui d'ailleurs pose ce mystère : comment Lehmuskallio et Lapsui travaillent-ils ensemble alors qu'ils ne parlent pas la même langue et que deux traducteurs leur étaient nécessaires pour échanger lors des débats?) (je suppose que tout ce qui doit se dire entre eux se dit en anglais) (et que le reste s'exprime le moins possible en mots). Le problème venait plus du public, qui se croyait à une séance de Connaissance du monde, et semblait avoir oublié à la minute où la lumière se rallumait qu'ils venaient de voir un film.

* J'y ai un peu cru quand la représentante de Documentaire sur grand écran a enfin utilisé le mot "montage". J'ai pensé qu'elle allait parler des points de montage de Fata Morgana, documentaire sans doute un peu plus classique par certains aspects qu'Anna ou Le Voyage perpétuel, mais magistralement monté cependant. Mais c'était en vérité pour évoquer l'utilisation d'archives, de différents supports et techniques et formats. Pas pour souligner que leur approche du found footage n'est jamais ponction illustrative, jamais documentation, mais bien réinvestissement (investir au sens d'habiter), prélèvement soigneux, pensé comme plans documentaires et non comme témoignages journalistiques (pardon pour l'opposition banale des termes, mais si au moins elle avait dit ça...). C'est en cela que j'ai un peu songé, de loin, aux Habitants de Pelechian, pour le choix par exemple de ce plan d'oiseaux en noir et blanc, pour sa pulsation et son potentiel d'abstraction.

* Goût du plan, donc (l'impression qu'aucun plan n'est choisi qui ne serait suffisamment fort pour être répété, chaque plan a son potentiel de répétition, même si chaque plan ne sera pas répété, mais il pourrait l'être, il faut qu'il puisse l'être potentiellement, on ne peut pas risquer qu'il ne le soit pas, on ne peut pas risquer d'être empêché au montage -- en cela aussi je songe à Pelechian, en cette musicalité stricte du plan, le plan comme note d'une partition, qu'on pourra pointer ou crocher, qu'on pourra par exemple mettre blanche quand bien même elle se voulait brève ou frénétique -- et inversement), du rythme, des matières, des textures, du grain gros, de l'hybridation; 35mm bouturé pourrait-on dire, joie des petites magies simples, on retrouve de film en film des gimmicks chamaniques quasi-ruiziens, apparitions/disparitions en fondus enchaînés, petits trucages du réel, plaisir d'un suspense factice en montage alterné... Et toujours la pensée de la collure, de ce qui se produit le temps d'un changement de plan, le temps que la caméra ne regarde pas (d'où ce motif récurrent du panoramique à 360°, qui est une alternative à cela). Au cul l'interdiction du montage bazinienne : le passage de vie à trépas se fait, dans le Voyage perpétuel, sauf erreur, toujours à la faveur d'un contrechamp, moins par pudeur que pour le sens : entre le moment où une bête est vivante et celle où elle est devenue viande, il y a l'homme moins bourreau que prédateur, au sens "écosystématique", chaîne alimentaire, la nécessité de la mort est dans le contrechamp, si vous voulez croire qu'entre temps le cinéma a triché et remplacé la bête à mourir par un quartier de viande, tant mieux pour vous.

* Plans larges, hommes en pied, composition et cadres inspirés du muet, primitivisme (qui jurerait que Les Sept chants de la Toundra datent de 2000?).

* Et ce son, ce son incroyable, stratifié, profond, comme un chant permanent (importance majeure du chant et de la danse dans le cinéma de L/L) (j'avais envie d'écrire le chant comme cosmogonie, c'est peut-être une connerie) (pourtant, pourtant) (le chant, la danse, le son, le mouvement) (chez L/L, on devrait raconter des histoires de survivance incertaine, de mort programmée, on pourrait dire qu'on le fait, même, mais on le raconte toujours comme une aube possible, une cosmogonie, un à-venir) (on fait naître) (et je crois que ça passe autant par les paroles des chants immémoriaux, les gestes des danses ancestrales, les costumes traditionnels, que dans la technique cinématographique même, dans les replis de l'image et du son) (et surtout du son) (d'ailleurs, contrairement à ce qu'on pourrait supposer, beaucoup des musiques et des chants sont composés spécifiquement pour les films, ce ne sont pas tous des airs traditionnels, cf. le chant d'ouverture des 7 chants de la toundra, ou la viole de gambe de Fata Morgana) (écoutez bien Le Voyage perpétuel, écoutez ce qu'il laisse entendre lors de la répétition des gestes hérités -- hérités des ancêtres, mais hérités aussi des films précédents, L/L prennent en considération, j'en suis persuadé, une mémoire spectatorielle, c'est de toute façon l'enjeu de leurs films, la transmission des cultures, des coutumes, des savoir-faire, des gestes, et même des gestes de cinéma, c'est aussi en cela qu'ils me rappellent Ruiz et peut-être parfois, de loin, les Straub, à moins que dans ce dernier cas ce soient surtout les panoramiques qui etc. -- écoutez donc le choix de ne pas recourir au son direct, ce son tellement pur tellement faux (donc tellement faux?) légèrement volontairement asynchrone, en légère avance sur l'action, parfois trop précis, parfois imprécis (certains pas font crisser la neige, d'autres ne produisent aucun son, trahissant le mensonge sonore) n'est-ce pas déjà du mythe, du réel devenu mythe?).

* Oui, trop de parenthèses.

* Il faudrait peut-être, si l'on a vraiment envie de mettre en rapport Lousteau/Michel/L/L, penser au son dans leurs trois films, ce que tous trois font du son, ce que leurs trois tonalités expriment. Non pas qui sonne le mieux, mais pour penser à l'importance de sonner. (au fait, Lapsui vient de la radio, il semblerait qu'elle ait apporté ça à Lehmuskallio, qui a fait tout le début de sa carrière sans elle ; Tapiola, d'ailleurs, qui est projeté en ouverture du Voyage perpétuel, est son deuxième court métrage, 1974, il y a déjà le montage, il n'y a pas encore tout mais il y a déjà le montage, et donc sur celui-ci il oeuvrait seul) (association d'idées, un peu comme l'intégralité de ce post, qui est bordélique à souhait : Ruiz à la Sorbonne l'autre jour disait que ce qui l'intéressait le plus aujourd'hui c'était la radio, personne n'a eu le réflexe de lui demander d'en dire plus) (parce qu'il paraît que c'était plus intéressant de lui parler des stars) (que c'était le thème du débat alors qu'il fallait laisser tomber son envie de parler de la radio ou des Destins de Manoel) (ah bon)

* Comme devant tous les grands documentaires (pour leurs fictions, il n'en va peut-être pas autant, même si j'aime assez quand même Tapiola et Sept chants de la toundra, mais la surprise était disons moins forte), l'impression d'avoir quelque chose du cinéma et de la mise en scène à apprendre des plans et des sons, à chaque plan et à chaque son.

* Alors qu'on venait de reformater et de finir de tout réinstaller sur le portable de S, on a un message d'erreur nous conseillant de faire un backup car le disque dur va bientôt rendre l'âme. Ca s'appelle la poisse.

5 commentaires:

'33 a dit…

j'enrage d'avoir raté 2 de ces trois films. existe-t-il un moyen de les voir ?
sinon, la relève du teen-movie français ici : http://www.allocine.fr/film/fichefilm_gen_cfilm=130536.html

GM a dit…

Malheureusement, à part 7 chants de la toundra qui apparemment existe en dvd, je ne sais pas où voir le reste... Quels films avez-vous vu alors?

Sinon, c'est assez invraisemblable ce projet, remake d'un film italien, ce casting, etc. Il y a un côté Sous-doués, non? Vous en avez entendu parler comment?

GM a dit…

attendez, je crois comprendre, quand vous dites deux de ces trois films vous voulez parler de Sub, Les Hommes et Le Voyage Perpétuel, c'est ça? J'ai cru que vous parliez de la rétro L/L.

Dans ce cas, Le Voyage Perpétuel est encore dans deux salles en france, je crois, notamment à la Filmothèque du Quartier Latin.

Pour Sub, c'est mort. En revanche, vous pouvez voir un autre film de Julien Lousteau, Norias, ici. (et un autre d'ailleurs).

Les Hommes, enfin, sortent en salles le 11 juin, patience.

'33 a dit…

merci
(j'ai entendu parler des sous-sous-doués en voyant le carton de projos presse)

GM a dit…

7 chants de la Toundra.

(merci C.Z.!)