vendredi 21 mars 2008

The night owns us.

* Mon premier Greenaway (on a les lacunes qu'on a), excellente surprise. J'ai pourtant eu des craintes, pendant les 10-20 premières minutes, craintes qui ont certes continué de sourdre un temps, mais qui se sont progressivement éteintes toutes seules. J'avais peur d'un film de seul technicien, et il y a certes un peu de ça, surtout dans le premier temps de Nightwatching, un temps où le film se regarde un peu trop, et c'est assez manifeste dans le découpage, qui est fait comme pour ne pas y toucher (on pense alors --un peu-- aux travers d'En avant, jeunesse), qui n'ose pas interrompre ses plans d'ensemble, fixes et tirés au cordeau, qui expose un peu trop ses beaux costumes, son espace théâtral (la chambre comme scène de théâtre, l'idée est bien surlignée vingt fois)... Et puis, sans prévenir, ça s'évapore. Je ne saurais dire quand précisément, mais le film, après cette amorce rigide, muséale, ne touchez à rien tout est authentique, se met à exister. Bizarrement, je crois que c'est avant tout un problème de montage, j'ai l'impression que Karen Porter ne fait pas le même travail tout le long du film. J'ai à ce propos lu sur IMDB que le film existe en deux montages, avec vingt minutes de différence. C'est la version longue, il me semble, celle de 2h21, qui est montrée au Lincoln. Ceci explique peut-être cela, peut-être que ce sont là ces vingt minutes qui pèsent, je n'en sais rien, je constate juste cette coïncidence.

* Pour le reste, on pense beaucoup au Ruiz des années 80, sa meilleure période selon moi, et cette nécessité que chaque plan soit un "exploit" (c'est le mot qu'emploie Ruiz dans le n° spécial des Cahiers de 1983), qui est aussi une politique de plateau. Chacun impliqué sur le plateau, personne n'est en reste, tout le monde derrière le film. Ca peut fonctionner, chez Ruiz ça fonctionnait, en tout cas, ici ça fonctionne parfaitement (en cela on pourrait être tenté, peut-être trop facilement, de rapprocher le film, thématiquement, de Klimt... c'est tentant thématiquement, donc, mais aussi parce qu'ici comme chez Ruiz, l'"exploit" esthétique se définit en rapport à la peinture, en ce que les choix de lumière, de cadre, de motif imitent et généralisent à chaque plan ceux de Klimt et de Rembrandt... même si, je me répète, je pense que Greenaway est ici plus proche du Ruiz des années 80 que du Ruiz actuel). Les machinistes, les acteurs, le chef-opérateur… tous réalisent des exploits de cinéma en direct, la lumière change pendant la prise, les positions d'appareil aussi, les acteurs se plient à des plans-séquences complexes, etc, etc. Ca pourrait être complètement gadget, ça l'est d'ailleurs parfois, dans les Ruiz ratés, ça pourrait passer pour de la seule performance sportive, mais ici c'est autre chose, c'est bien davantage, car Greenaway vise à l'épuisement, plus encore qu'à l'exploit, il veut qu'on oublie l'exploit, qu'on soit dans les conséquences physiques de l'exploit, corporelles. De fait c'est bien davantage que ludique, c'est là d'ailleurs que je trouve que la critique de Chonic'Art est d'une immense mauvaise foi, car le film n'est pas du tout sur le registre du Cluedo et encore moins du reportage éducatif, comme l'article voudrait le faire croire. Bien au contraire, aucun code de genre, et la reconstitution du puzzle n'intéresse pas en premier lieu Greenaway (bien qu'il s'y plie malgré tout avec jubilation), ce qui intéresse Greenaway, c'est disons la distension dans l'exploit, le plus loin que prévu. Et évidemment, ce qu'on pourrait appeler le quatrième acte (celui qui est d'habitude tu) est dans ces conditions le plus beau, le plus foudroyant, le plus triste, le plus morbide, le plus érotique, le plus drôle, le plus troublant, le plus bouleversant.

* J'ai donc pleuré, deux fois. Merci T. d'avoir insisté (et bon anniversaire).

* Un nommé David (merci) me signale que la première du Genou d'Artémide a été filmée. C'est une sélection, il en manque, mais ça donne une idée.

* Il y en a qui n'ont vraiment honte de rien.

4 commentaires:

Joachim a dit…

Pas vu le Greenaway, mais je garde un souvenir intense (quoique pas toujours net) de "L'hypothèse du tableau volé" duquel tu parais le rapprocher. En même temps, le film de Ruiz me paraît beaucoup plus proche du récit et du verbe que de l'image et de la peinture. A te lire, je me dis donc que le "dialogue" qu'a voulu entamer Greenaway avec les autres arts (architecture, peinture, dessin et même gastronomie dans "le cuisinier....") ne serait qu'un leurre puisque finalement, il n'y aurait que... le théâtre qui l'intéresserait. Il est vrai que les "spectacles scéniques" de PG (je n'ose pas dire pièces) sont paraît-il assez mémorables, mais je ne peux pas t'en dire plus car je ne les ai pas vu. Je me souviens juste d'un titre d'un spectacle donné à Bobigny en 1999 et qui m'a longtemps fait rêver: "100 objects to represent the world".
A te lire, je me rends également compte de mes lacunes puisque "poétique du cinéma" de Ruiz sous l'égide duquel ce blog semble se placer, ça fait des années que je me dis que je dois le lire... et je ne l'ai toujours pas fait ! Au boulot, donc ! En avant, jeunesse ! (je me parle à moi-même là).

GM a dit…

Je ne sais pas s'il faut le rapprocher d'un film précis du Ruiz des années 80, parce que thématiquement, c'est plutôt vers Klimt qu'il faut loucher. En revanche, pour ce qui est de la méthode, de la mise en scène et de la politique de plateau, on est clairement dans une démarche similaire.

J'ai en tout cas très envie de découvrir la filmo de PG, maintenant...

Ce que tu dis sur sa pièce me fait penser que j'ai vu que sur le 2è DVD de l'intégrale Straub, on trouve une captation inédite d'un de leurs spectacles. Je suis très curieux de voir ça (mais si Kuhe ferme, qui va nous abreuver de leurs films déposés sur dl.free.fr ?).

GM a dit…

Au fait, pour l'égide Ruizienne, il y a de ça : j'ai piqué Passemerveille à sa Chouette Aveugle (qui mettrait en pâmoison les amateurs de Robbe-Grillet, comme ce bon Dr Devo... enfin, encore faudrait-il qu'il soit édité en DVD quelque part).

Joachim a dit…

Je pense que le Greenaway le plaisant (en tout cas, le plus drôle et le plus ludique), ça doit rester "Drowning by numbers". "Le ventre de l'architecte", on pourrait presque le mettre en parallèle avec "Je vous salue Marie" de Godard car ce sont deux films assez inspirés sur la création (à tous les sens du terme). "Le cuisinier..." c'est déjà un peu plus dans les grands tableaux composés, mais il y a peut-être là une frontalité proche de ce que j'imagine être "la ronde de nuit". Le reste. "Meurtre dans un jardin anglais", j'ai peur que ça paraisse pompeux (ou plus pompeux que les autres puisque tout PG est pompeux) et "Prospero's book" carrément étouffant et puis déjà vieilli (que ça ressemble aux premiers CD-ROM du début des années 90). Je me rends compte que je ne cite que des films des années 80, mais j'ai arrêté de suivre à un moment (et pas mal de ses films ne sont pas sortis en France de toute façon). Sinon, je suis sur qu'en fouillant sur le Net, on doit trouver des tas de vidéos ou de bouts de films.